au moment de la grande Révolution
Au moment de la grande Révolution, la France ayant été bouleversée de fond en comble, le régime de la féodalité fut détruit ainsi que les privilèges seigneuriaux, pour faire place au principe de l’égalité des citoyens devant la loi. Mais ces violents changements auxquels la France n’était nullement préparée, loin de donner la sécurité et la paix au pays furent le signal de graves désordres et de malheurs plus grands encore, qui mirent la société en péril.
[…] Pendant que les membres de la noblesse et du clergé, pour échapper à une mort presqu’inévitable, fuyaient le sol natal, pour passer à l’étranger, on en vit plusieurs qui, pleins de confiance dans leur dévouement au pays, et la reconnaissance des habitants, ne voulurent point émigrer et osèrent affronter la tempête révolutionnaire.
Au nombre de ces seigneurs se trouva le comte de Gomer, dont la vie était consacrée au bonheur et au soulagement des malheureux. Il ne voulut point quitter sa résidence de Quevauvillers pour émigrer comme tant d’autres ; mais, sa présence fut bientôt signalée aux administrateurs de la ville d’Amiens et un ordre du district fut lancé contre lui et sa famille.
A cette nouvelle, la consternation se répand dans le pays ; les habitants ne peuvent supporter la pensée d’être séparés de leur seigneur ; ils s’assemblent, délibèrent et rédigent d’un commun accord la requête suivante qui leur fait le plus grand honneur :
« Aux citoyens, maire et officiers municipaux de la commune de Quevauvillers. Nous, citoyens, individus composant la commune de Quevauvillers soussignés, étant instruits que vous êtes chargés par des ordres supérieurs de nous enlever le citoyen Charles-Gabriel de Gomer et toute sa famille, nos bienfaiteurs, domiciliés en ladite commune de Quevauvillers, pour les carcérer, vous invitons et vous prions d’employer toute votre prudence et votre sagesse, devant qui il appartiendra, pour nous conserver cette famille innocente. Nous nous adressons à vous mêmes, citoyens, maire et officiers municipaux, pour juger de leur conduite et de leurs actions envers tous nos frères. Vous nous direz peut-être qu’il n’y a pas d’exemption, et nous vous répondrons qu’il n’y a pas de règle sans exception, et qu’il doit y avoir une très grande différence entre l’agneau et le loup ; et attendu que vous savez combien ils ont rendu service à toute la commune, tant en pains qu’en riz ; en argent, linges pour les malades et infirmes et payé des chirurgiens pour lesdits malades et infirmes ; habillé et allingé les pauvres indigents ; et que vous avez aussi vu son zèle, civisme et patriotisme, puisqu’il a souvent donné de l’argent pour payer des défenseurs à la Patrie. Et c’est ainsi que nous réclamons le citoyen Charles-Gabriel de Gomer et sa famille, même sous notre garde et responsabilité. Conservez-nous cette dite famille, pleine de fraternité et d’humanité et vous rendrez justice. »
[Extrait des Archives départementale]. Lh 3063.
Cette première démarche des habitants de Quevauvillers, fut bientôt suivie d’une autre, beaucoup plus imposante. En effet, le comte de Gomer, ainsi que sa famille, ayant été arrêté et incarcéré, malgré toutes les protestations de la commune, plus de quatre cents habitants se transportèrent en masse au district d’Amiens, et présentèrent la requête suivante, pour obtenir l’élargissement de leur seigneur :
« Aux citoyens, administrateurs révolutionnaires du district d’Amiens.
Citoyens,
La commune de Quevauvillers réclame aujourd’hui votre justice et votre bienfaisance pour la délivrance du citoyen de Gomer, en qui nous ne connaissons d’autre cause de sa détention que sa ci-devant noblesse.
Ce qui nous presse à solliciter en sa faveur, c’est sa soumission toujours exemplaire aux lois de son pays, le délabrement de sa santé depuis plusieurs années ; son état de gros cultivateur ; la misère de beaucoup d’ouvriers qu’il occupait journellement, tant en hiver qu’en été ; l’affliction d’une grande quantité de pauvres qu’il nourrissait et habillait et généralement des malades qu’il secourait.
Si vous pouvez acquiescer à nos instantes réclamations, vous rendrez à notre commune un citoyen bienfaisant ; aux malades une puissante ressource ; aux pauvres un père ; à la veuve et à l’orphelin un soutien et un appui. Vous ferez succéder parmi nous la joie et l’allégresse, à la tristesse et à la douleur de son absence, et nous joindrons les sentiments de la plus vive reconnaissance, à l’affection tendre que nous avons pour vous. Nous réclamons également à votre justice et à votre bienfaisance, sa famille aussi bienfaisante que lui.
Salut et fraternité.
Présenté le 11 prairial, 2e année républicaine, une, indivisible et impérissable, 30 mai 1794. »
[Archives départementales]. Lh 3053.
Après quelques mois de détention, le comte de Gomer fut rendu aux vœux des habitants de la commune de Quevauvillers.